Enorme angoisse citoyenne cette semaine avec
l’adoption, lors du vote solennel du 5 mai, par 438 voix contre 86, de la
fameuse Loi Renseignement qui a fait couler tant de pixels. Malgré le suicide
héroïque d’Europe-Ecologie et des députés communistes, nous serons, c’est un
fait, épiés par le méchant Cazeneuve et ses sbires que notre vie privée
captive.
Je tiens tout d’abord à noter que pour un projet
élaboré dans l’indifférence la plus totale, la loi Renseignement a suscité un
nombre très conséquent de réactions ; plus, en tout cas, que la sinistre
affaire de Garissa, disparue en deux jours des fils Facebook, ou le xième
naufrage de migrants en Méditerranée. (En même, qu’est-ce qu’ils faisaient là,
aussi.)
Si j’ai bien retenu les arguments-phares des
opposants à la loi, l’initiative du gouvernement aboutirait purement et
simplement au basculement dans notre pays dans un état semi-dictatorial façon
Cambodge de Pol Pot ou Truman Show. Enfin, pas tout à fait : même si la
loi est liberticide, elle est portée par un gouvernement élu et votée par des
parlementaires dont, a priori, on n’a pas kidnappé les conjoints et les animaux
de compagnie, tempère Thierry Lévy, avocat opposé au projet. Mais bon, j’ai
envie de dire qu’en 33 les gens aussi ont voté pour Hitler.
Image trouvée sur un magnifique blog, Chaos contrôlé
Maintenant que nous y sommes, il est
probable que, comme l’annoncent les prophètes de malheur, nous allons modeler
nos comportements individuels en fonction de cette crainte d’être épiés, et
intérioriser l’espionnage étatique. Je m’apprête donc à frémir à l’idée que le
gouvernement, ce fourbe, découvre le nombre d’occurrences du mot
« félin » dans mon historique de navigation et des recherches aussi
baroques et compromettantes que Benoît
Hamon a-t-il validé sa licence d’histoire ? ou Faut-il espérer un retour en politique d’Eaque et Rhadamante ?
Pour le dire clairement, je ne suis pas très
préoccupée par cette loi théoriquement infamante, dont l’effet le plus direct
sera de filer les chocottes à tous mes élèves qui tapent
djihad+le-mée-sur-seine dans leur moteur de recherche au lieu de rédiger leur
dissertation sur les figures féminines chez Flaubert. (Il est probable
d’ailleurs que les seuls suspects effectivement appréhendables par le biais de
cette loi soient des mômes de 15 ans.)
Je suis beaucoup plus préoccupée quand je
constate l’ampleur du pillage de données personnelles auquel se livrent des
entités aussi sympathiques que Google et Facebook, qui, pour le coup, n’ont été
légitimement élues par personne.
Je suppose que tout le monde est au courant
de la teneur du phénomène, mais vu que je ne vois jamais personne s’enflammer,
ni poster de petite bande-dessinée rigoler avec Mark Zuckerberg épiant les gens
dans leur salle de bain ni personne, d’ailleurs, éliminer les informations trop
sensibles qui viendraient à s’accumuler, je me permettrai de rappeler quelques
évidences.
Nous sommes déjà, et à un degré que nous ne
percevons pas toujours clairement, sous surveillance. Si la régulation
européenne en terme de confidentialité des données privées est très
protectrice, il n’en va pas de même de la régulation américaine ; or, et
je le regrette, peu de gens consacrent une attention aussi intense au réseau
social captivant qu’est Copainsdavant.com qu’à Facebook, qui est implanté en
Californie.
Le business model de Facebook n’est pourtant
pas bien compliqué : l’internaute génère en permanence de l’information,
qui, dès lors, qu’elle est publiée, ne lui appartient plus (à l’exception
notable des photos, mais le site a bien tenté le coup, et reculé devant le
tollé). La valeur de ces données, généreusement monnayées auprès de partenaires
commerciaux, est désormais estimée à 600€ pour un citoyen européen. 600€, ça
n’est pas très cher pour élaborer une stratégie marketing : nos données
personnelles (données personnelles, cela implique bien sûr le nom, la date et
le lieu de naissance, la situation matrimoniale, des informations somme toutes
assez peu sensibles) se retrouvent donc, en moyenne, dans 400 fichiers.
Ces informations viennent d'un article des Echos, La ruée vers l'or des données personnelles.
Bien évidemment, il suffit d’avoir émis une
fois une information pour qu’elle soit enregistrée : l’argument
fallacieux, et de toute façon inopérant, selon lequel il suffirait de
désactiver son profil ne tient pas la route. Facebook a d’ailleurs investi 1
milliard d’euros dans la construction de serveurs destinés à stocker toutes ces
données. Je suppose qu’il ne le fait pas par souci de redynamiser des communes
rurales.
Et s’il n’y avait que Facebook… Pour avoir
manipulé une ou deux fois l’outil AdWords de Google, qui permet à l’utilisateur
moyen – et aux entreprises, essentiellement – de cibler leurs publicités en
ligne, je vois bien la manière dont le géant d’internet se sert de nos données.
L’argument est là aussi imparable : l’internaute n’a qu’à faire le tri
dans ses cookies. Parce que l’internaute, voyez-vous, est rentier et passe sa
journée à contrôler le taux de pillage de ses données persos sur ses six objets
connectés. Il en a de la chance, l’internaute.
En réalité, éviter ou minimiser cette
surveillance demande une vigilance de tous les instants : contrôler les
publications faites en notre nom, limiter la convergence de données à caractère
sensible (la liaison systématique du nom véritable et de la photo, par exemple),
nettoyer notre historique et nos cookies, cocher la petite case, là, tout en
bas du formulaire d’acceptation des conditions, qui précise que nous refusons
que nos données soient utilisées à des fins commerciales… (la loi européenne
rend cette démarche obligatoire, y compris pour les sites américains
accueillant des clients européens. Mais qui le fait ?)
Vieille femme lisant, Gerrit Dou
Le problème, c’est que cette surveillance
n’est en rien bienveillante, mais qu’elle se dissimule sous les oripeaux de la
modernité. Quand mon téléphone m’informe, avant même que je le sache, que mon
avion atterrira à telle heure, que je suis déjà passée dans tel endroit, que je
peux communiquer en telle langue avec le serveur (il suffit d’une connexion
wifi pour qu’il comprenne que je suis au restaurant) et que la lecture de tel
article pourrait m’intéresser, j’éprouve un vague malaise. Difficile d’endiguer
le phénomène…
Comme dans le cas de la loi Renseignement,
les géants américains de l’internet sont tenus de donner des garanties en
matière de confidentialité des données. Facebook assure y consacrer 10% des
ressources de ses data centers. Mais
si je veux bien faire confiance à l’Etat français, qui incarne un principe vénérable,
et qui, pour l’instant, est quand même assez peu doué pour se faire de l’argent
sur mon dos, je ne fais pas, mais alors pas du tout confiance à Google.
Image de couverture tirée du film Le 4e protocole
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire