Ces
jours-ci, il est de bon ton de s’effarer devant la duplicité de nos politiques.
Comment donc ! Certains ont inscrit sur leur CV des diplômes qu’ils n’ont
jamais décrochés ? Et on ose berner ainsi le bon peuple ?
Mais
à quoi s’attendait-on exactement ? Serions-nous encore à l’époque où nos
dirigeants, après avoir durement trimé pour obtenir des titres universitaires
prestigieux, trouvaient un emploi stable et se consacraient à la politique sur
leurs heures perdues ?
Ce
n’est pas ce que je constate.
Dans
la génération que nous avons vue accéder aux manettes, combien ont une
profession leur permettant, en cas d’échec électoral, de retourner sagement à
leurs affaires ? On imaginerait pourtant que notre ministre de la Santé
ait exercé une profession médicale, que notre ministre de la Justice soit
magistrate, ou que, doux rêve, la ministre de l’Education ait déjà tâté de près
ou de loin les réalités du terrain scolaire…
Mais
ces temps-là sont révolus. La politique est une carrière. Dans laquelle on s’engage
très jeune, pour recueillir le plus tôt possible les fruits de cette passion
civique.
Certains
en ont fait l’amère expérience : militer dans un parti de masse, aujourd’hui,
ressemble assez peu à un partage fraternel d’idées constructives. Les débats
sont rythmés par d’innombrables allusions cryptées au conflit de personnes, aux
paris sur l’un ou sur l’autre, aux déviances réelles ou supposées par-rapport à
la « ligne ». Une énergie considérable est dévolue à cette cuisine.
Et les profils sont bien clivés : le militant de base à qui on confiera
les tâches rebutantes, les tractages à sept heures devant une bouche de métro ;
celui qui fera carrière, parce qu’il a choisi le bon cheval.
Le
Parti Socialiste, aujourd’hui, n’est plus que cela. Un parti de professionnels,
repérés parfois dès l’adolescence.
Mais
quelles en sont les conséquences ? Au fond, à une époque où tout se
professionnalise, où il faut une licence pour tenir la caisse du Monop, cela n’a
rien de surprenant. Pourquoi nos élites n’auraient-elles pas le droit de miser
sur la politique comme on mise sur une école d’ingénieurs ?
Parce
que cela n’a rien à voir avec l’esprit civique.
Et
parce que nous héritons d’une classe politique qui n’a jamais vécu ce que
vivent leurs concitoyens : les réalités du travail, les difficultés
économiques, l’isolement social, la précarité.
L’esprit
civique, tout d’abord. Nous n’avons pas besoin de techniciens pour diriger ce
pays. C’est le rôle des fonctionnaires. Nous avons besoin de gens dotés de
convictions. Qui se tiendront à des idées et pas à une ligne, et à ce principe,
si curieusement évanescent ces temps-ci, de l’intérêt collectif. Des gens qui n’auront
pas peur d’être éliminés à l’issue de leur mandat, parce qu’ils ont fâché leur
clientèle en procédant à des réformes nécessaires.
On
ne peut guère attendre cette attitude énergique de politiques professionnels
qui cherchent essentiellement à se faire bien voir d’une corporation. Nous
attendrons longtemps le sauvetage de la Sécu si personne ne se décide à mettre
les médecins au pas. La Grande-Bretagne y est parvenue, et nous continuons à
prescrire à tour de bras.
Idem
pour l’Education. Les enseignants résisteront toujours à la moindre innovation,
pour des raisons qui leur sont propres. Faire bouger les programmes, les
matières, les horaires, les mentalités : impossible ; c’est prendre
le risque d’une grève de six semaines (mais sans ponction de salaire, parce qu’ils
n’ont fait que leur devoir). Qui ira bouleverser ce panorama morose ?
Certainement
pas nos gouvernants qui, semblables au papillon au printemps, butine de fleur
en fleur. On s’étonne du flou idéologique dans lequel baignent leurs
déclarations sur le communautarisme : comment pourrait-il en être
autrement ? La moindre prise de position un peu affirmée fait beugler dans
les chaumières. Et la courtisanerie électorale implique de changer d’opinion
dès que le vent tourne…
On
peut tirer le même constat quant à l’étrange parcours universitaire et
professionnel dont ils sont issus. Très naïvement, j’imaginais que pour
gouverner un peuple de 66 millions d’âmes, il fallait avoir une idée de ses conditions
d’existence : où vivent-ils ? comment sont leurs universités, leurs
écoles ? qu’est-ce réellement que diriger une entreprise, qu’être
fonctionnaire de grade B, qu’aller chaque matin réaliser une tâche assommante ?
Ils
le savent si peu qu’une émission grand public se proposent de les mettre 24
heures dans la peau d’un « vrai Français ». Sinistre farce… et quel
manque de respect pour la fonction qu’ils incarnent que ce piteux échange de
rôles.
Et
d’où viennent-ils ? Des mêmes écoles, des mêmes cénacles, des mêmes
partis. Prendre sa carte dès le plus jeune âge, sans la moindre passion sinon
le goût de la coterie, le plaisir de l’entre-soi, et le sentiment bien ancré de
sa propre légitimité. Des instituts font leur beurre sur cette illusion
collective. Plus besoin de faire du droit désormais ! Une vague teinture
de sciences politiques suffira. Un vernis de culture générale, et beaucoup d’administratif.
Quand on ne s’est pas contenté d’un parcours maison dans un parti de masse….
C’est
sans doute le profil le plus lamentable. Comment faire carrière dans un système ?
Par la médiocrité : sans volonté délibérée de faire naître l’excellence,
un système n’accouchera que de minables avortons, conformistes et sans vision.
Regardez ces ministres à peine titulaires d’une licence, ignares sur tous les
sujets, mais qui savent à la perfection entrer dans le sillage d’un plus
puissant…
Et
voilà que nous nous effarons du succès du Front National ! Les Français
sont racistes, ils rejettent l’islam ou le pauvre. Vraiment ? 25% des
Français seraient racistes ? Et si tout simplement ils frémissaient d’indignation
devant ces marionnettes qui ne les représentent en rien, et se moquent très
franchement d’eux tout en parlant en leur nom ?
C’est
une triste illusion de croire que le Front National changera la donne : leurs
jeunes cadres sont la copie conforme de ceux de l’UMP, avec lesquels ils
entretiennent des rapports incestueux. Leur seul atout est de tenir un discours
de rupture, qui jette une lumière crue sur le conformisme pataud et l’absence d’idéal
de leurs rivaux au pouvoir. Laissons-les un peu diriger… et nous verrons ce qu’il
en est de cette politique de rupture !
La
solution est simple et parfaitement irréalisable. Il n’est pas concevable qu’un
citoyen puisse se lancer en politique sans avoir une profession. Comment d’ailleurs
peut-on faire confiance, pour prendre des décisions d’ampleur, à un individu
qui n’a pas fait ses preuves dans un domaine professionnel quelconque ? La
politique n’est pas une vocation, c’est un dévouement à la cause publique. Et
les Romains le savaient : un sénateur disgracié disparait à la campagne
pour se consacrer aux belles-lettres et à la vie de l’esprit… Voilà qui ne
risque pas de tenter nos ministres !
Très bien, mais alors? Si la simple citoyenne que je suis se lançait, j'y perdrais mon emploi, et ma qualité de vie notamment familiale.
RépondreSupprimerSi on ne créé pas un vrai statut de l'élu et un vrai congé pour mandat politique avec retour à l'emploi au retour, inutile d'appeler à l'esprit civique. Les carriéristes poursuivront leur carrière et les autres continueront à ne pas faire de politique parce qu'ils n'en ont pas les moyens.
Les sénateurs romains ne devaient pas non plus être issus des milieux pauvres, sinon ils n'auraient guère eu la possibilité d'aller s'occuper de belles-lettres à la campagne une fois battus...