Par Marguerite Petrovna
Depuis les attentats des 7 et 9 janvier, le monde de l'éducation s'émeut. À en croire nos têtes pensantes, les frères Kouachi et Coulibaly seraient la manifestation, non tant d'un délire mystico-politique, que celle de la faillite de notre École. Une semaine après le double drame, la ministre de l'éducation Nationale, Najat Vallaud-Belkacem, annonçait la mise en place d'une batterie de mesures qui, nul n'en doute, passeront l'envie à tous nos apprentis terroristes d'entamer leur baptême du feu.
Depuis les attentats des 7 et 9 janvier, le monde de l'éducation s'émeut. À en croire nos têtes pensantes, les frères Kouachi et Coulibaly seraient la manifestation, non tant d'un délire mystico-politique, que celle de la faillite de notre École. Une semaine après le double drame, la ministre de l'éducation Nationale, Najat Vallaud-Belkacem, annonçait la mise en place d'une batterie de mesures qui, nul n'en doute, passeront l'envie à tous nos apprentis terroristes d'entamer leur baptême du feu.
Je ne m'étalerai pas sur la dimension
politicienne de ce genre de proclamation. Le Français, et tout particulièrement
son avatar sublime et généreux qu'est le parent d'élève, s'attend d'ailleurs à
ce que la ministre prenne des mesures radicales, et il s'attend tout autant à
ce qu'elle communique immédiatement ; et comme toujours, lorsqu'on communique
dans l'urgence, on oublie au passage de penser.
Examinons un instant le contenu des mesures
anti-kouachisation du ministère et leurs implications idéologiques.
La ministre suppose que l'échec social et
identitaire des terroristes en devenir est le fruit d'un manque de mixité
sociale qui les enfermerait dans une image négative d'eux-mêmes. Le constat est
tout à fait intéressant; mais ce n'est pas en entassant dans des pièces de 30m2
des élèves qui n'ont rien à se dire et, la plupart du temps, se méprisent
totalement, que nous allons résoudre la question. Mais c'est un autre débat,
qui nécessiterait au passage une étude plus approfondie des mécanismes de la
pensée magique dans les théories éducatives à l'honneur.
Elle annonce ensuite l'introduction d'une heure
d'enseignement moral et d'éducation aux médias dans les programmes du primaire
et du secondaire, le tout dès la rentrée 2015.
L'échéance paraît bien proche et découle très évidemment de cette hystérie de la réponse institutionnelle que nous subissons depuis des années.
L'échéance paraît bien proche et découle très évidemment de cette hystérie de la réponse institutionnelle que nous subissons depuis des années.
Rassurons-nous cependant : l'éducation aux
médias, qui est une urgence vitale dans une société où les adolescents,
contrairement à ce que veulent nous faire croire les publicités pour Acadomia,
sont démunis face à l'outil numérique et la recherche de l'information, n'est
pas tout à fait une découverte pour les enseignants. Elle figure déjà au
programme et les professeurs-documentalistes, quand on veut bien les
solliciter, travaillent déjà sur la question.
L'enseignement de la morale est plus
problématique. Entendons-nous: je n'adhère pas du tout à la ligne gauchisante
qui feint de croire que toute éducation est une violence et que nous devons
nous garder d’imposer une quelconque manière de voir ou d'agir à nos jeunes.
C’est sur les méthodes à employer que je suis plus sceptique.
S’il est bien un présupposé qui m’emplit d’étonnement
chaque jour que Dieu fait, c’est qu’on puisse transmettre – un savoir, et
surtout un savoir-être – sans passer par la contrainte.
Or toute la doctrine pédagogique en vogue
repose sur le refus de la contrainte. Dans le domaine du savoir tout d’abord :
ce n’est pas au maître de transmettre son savoir, de manière verticale, mais à
l’élève de le réinventer, par le biais de l’induction et de l’expérimentation.
Mais aussi dans le domaine purement et strictement éducatif : la
contrainte des corps et des esprits est un échec. Seul le libre apprentissage
permet l’épanouissement du futur adulte.
Tout ceci est très joli mais a manifestement
été conçu par des loufoques qui n’ont jamais mis un pied dans un établissement
d’enseignement secondaire. Qu’un adolescent des beaux quartiers à qui ses
parents ont appris le savoir-vivre sache se contraindre instinctivement, je
veux bien le croire ; mais la pédagogie inversée en ZEP, c’est non. Il y
aurait beaucoup à dire sur le principe charmant qu’il faille, à chaque
génération, réinventer la lune et les quelques mégatonnes de connaissances que
nos ancêtres ont produit en deux petits milliers d’années. Mais éduquer sans
contrainte, vraiment ?
Il suffit de se pencher trois minutes sur la
question pour constater qu’éduquer équivaut, dans le lexique, à modeler. Un
jeune enfant n’a pas reçu avec son lait Blédina les principes fondamentaux de
la vie en société : tenir la porte aux vieilles gens, lire Le Monde, écouter sagement les plus
grands. A priori, il peut même ruer
dans les brancards. L’éducation efficace visera ainsi à lui donner le goût des
bonnes et belles choses, puis à le rendre autonome par la formation de son
esprit critique.
On supposera donc que nos lycéens sont
suffisamment autonomes, ayant atteint, pour la plupart, l’âge de 15 ans, et qu’ils
peuvent donc profiter des jouissances intellectuelles d’un enseignement de la
morale fondé sur la libre expression des opinions.
Malheureusement l’expérience prouve que l’éducation
à l’autonomie, qui occupe des pages entières sur Eduscol, a été légèrement
occultée par les familles ces dernières années. Il n’est d’ailleurs pas impossible
qu’un système scolaire, dont la fonction est de croître à l’infini et de
maintenir en état de minorité une part toujours plus significative de la
population, n’ait pas vraiment pour objectif de nous rendre autonomes. Autonome
sur un banc d’école, c’est peut-être une contradiction dans les termes.
Nous nous retrouvons avec des milliers de
jeunes gens, fort sympathiques ma foi, mais dont le degré de maturité face à la
vie égale celui d’un chaton de trois semaines. La conséquence la plus immédiate
est qu’il est difficile de faire appel à leur esprit critique : il est
moins qu’embryonnaire.
La réponse systématique de l’enseignant est
celle-ci : s’ils ne comprennent pas (que la tolérance/la justice/la
laïcité/la République sont des valeurs fédératrices), ils l’auront au moins
entendu une douzaine de fois. Et ils comprendront plus tard.
J’aime bien l’idée (peut-être vaut-elle aussi
pour les textes de Ronsard et de La Fontaine), mais je la trouve un peu facile.
Il est exagérément optimiste de supposer que la simple émission d’un message
suffit à lui donner de la force. Des types aussi mineurs que Démosthène et Jean
Jaurès ont réfléchi sur la forme d’un discours, et ne se sont pas contentés de répéter
d’une voix falote qu’il fallait bouter Philippe hors de Grèce ou les bourgeois
hors de l’Assemblée.
Or voici bien ce qu’on nous propose :
répéter, sans contrainte, ni polémique, que la France est tolérante et que tuer
c’est pas bien. Le tout sans heurter les convictions des uns et des autres. C’est
ce qu’on appelle, au fond, se défausser.
Une fois que le prof d’histoire aura fait son
topo sur la tolérance, qu’on aura posté le compte-rendu sur le site de l’Académie,
et que les inspecteurs se seront fait des compliments, on reprendra notre
routine.
Pendant ce temps la 2nde 5
continuera à m’expliquer que la peine de mort est bien utile et que les
mécréants n’ont que ce qu’ils méritent. Et je répondrai. Mais sans contrainte.
Le tableau de couverture est de Joaquin Sorolla y Bastida.
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