Pour un citoyen non motorisé, tenter une
virée dans le Centre de la France peut rapidement se transformer en équipée
infernale.
Non pas que les résidents de l’Eure-et-Loir
soient plus agressifs que les autres, ou les villes moins attrayantes.
(Quoique.)
C’est que, grâce aux choix de développement
judicieux de la SNCF, on sait quand on en arrive en région Centre, mais on ne
sait pas toujours très bien quand on en repart.
Je reviens d’un séjour de deux semaines en
Turquie, sur la côté égéenne, où, fait remarquable, je n’ai blessé ni insulté
personne. Surtout, j’ai pris conscience de l’efficacité des transports locaux.
Enfin, plus exactement, j’en avais conscience depuis un bon moment, mais j’ai
pris le temps d’analyser le phénomène et de le plaquer sur la réalité de nos
bons vieux terroirs français.
En Turquie, se rendre d’une ville importante
à un village perdu, d’une banlieue au centre d’une ville, de l’école à la ferme
de ses grands-parents, ne pose guère de problème : sans qu’il faille
repérer sur une appli le passage hypothétique d’un car ou d’un TER, on trouve
toujours un minibus qui saura s’arrêter en dehors de ses stations prévues, et
rendra ainsi service à moult vieilles dames et écolières.
Le réseau de train est quasi inexistant,
hormis une fois par semaine sur l’axe Ankara-Téhéran, ce qui ne concerne pas
grand monde. Par contre, les compagnies de bus, de la plus luxueuse à la plus
rustique, sont légion dans toutes les gares routières.
Il suffit donc de se présenter au guichet
d’une quelconque de ses compagnies, et il se trouvera toujours un employé pour
prévoir le déroulé exact de votre itinéraire. S’il est de bonne humeur, il préviendra
même un copain qui viendra vous chercher en voiture, pour que vous n’ayez pas à
vous fatiguer à porter votre sac sur les 500 mètres qui vous séparent de votre
destination.
Les plus petits bus, les dolmuş, qui partent une fois qu’ils sont
pleins, sont gérés par des coopératives. Le prix des billets est ridicule, et
il part toutes les 20 minutes.
Retour en France : je tente de me
rendre à Issoudun, riante cité ouvrière de l’Indre réputée pour son usine
Vuitton et l’aperçu épique qu’en a donné Balzac dans La Rabouilleuse.
Issoudun se trouve à 250 km de Paris.
Un coup d’œil achève de me convaincre qu’il
est inutile de chercher à s’y rendre en train : il faudrait cinq heures et
une station prolongée dans la gare de Vierzon, ce qui suffirait à ruiner le week-end
le plus ensoleillé. Miracle : je trouve un covoiturage.
Pour le retour, c’est une autre
affaire : on ne trouve pas deux fois dans la même journée une avocate
russe décidée à passer son samedi à Saint-Florent-sur-Cher. Comment se sortir
de ce cul-de-sac ? Partir de Châteauroux ? Il faudrait six heures
trente. D’Issoudun même ? Presque huit heures. La perspective de hanter
tous les dépôts de bus entre Orléans et La Charité ne m’enchante pas plus que
ça. Il faudra faire un détour par Bourges et Nevers, trois heures de transport
en tout.
Pourquoi vous raconter mes déboires ?
C’est que ce choix de développement, qui néglige ces régions rurales, je le
comprends dans l’abstrait, mais il me paraît scandaleux. Ces départements
souffrent d’une désaffection croissante. Issoudun se meurt à petit feu,
l’emploi ouvrier disparaît peu à peu, et, conséquence inévitable, la population
vieillit et ne se renouvelle pas.
Certes, la SNCF n’a sans doute pas
grand-chose à gagner sur ces lignes locales. Mais comment justifier qu’une
partie de la population française, celle justement qui subit de plein fouet les
ravages de la mondialisation, soit celle qu’on abandonne dans des villes
éteintes d’où les commerces sont partis depuis bien longtemps ?
On m’objectera que tout le monde y possède
une voiture.
C’est cela donc, la solution aux problèmes
de mobilité ? Que chacun possède une, voire deux voitures ? Et ceux
qui n’en ont pas les moyens ? Ou, trop âgés, ne peuvent plus
conduire ? Ou trouvent inepte un système aussi peu écologique ?
(Certes ce serait une coquetterie de bobo citadin ; mais on peut tout
imaginer.)
Tout le monde n’est pas en mesure de
posséder une voiture, et cela ne devrait pas être le cas, à une époque où on
s’inquiète aussi bien de l’impact de nos comportements sur l’environnement que
des inégalités sociales et géographiques.
Surtout, cet argument laisse de côté des
populations qui ne doivent trouver de salut qu’en elles-mêmes. Quand bouger est
une épreuve, on trouve bien moins facilement un emploi.
Je reste stupéfaite qu’en Turquie, une
politique aussi volontariste de transports publics soit quotidiennement menée
dans la moindre bourgade, quand des villes moyennes françaises sombrent dans la
sinistrose, à cause – entre autres – de l’enclavement géographique et économique.
La mobilité est aussi une affaire d’égalité républicaine, et pas seulement en
région Île-de-France.
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