lundi 2 février 2015

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D'un usage raisonné et spirituel du racisme en général, et de l'antisémitisme en particulier - par Julian Melmoth



Il faut parler de Dieudonné pour dire qu’on en parle trop et, surtout, qu’on en parle mal. Je voudrais montrer que, dans ses sketches et interventions en tous genres, Dieudonné en réalité ne se moque pas des juifs. Il ne se moque de rien d’ailleurs, car il ne fait plus d’humour depuis bien longtemps. Ce serait lui faire trop d’honneur, aujourd’hui, que de lui accorder le fait qu’il puisse se moquer et être drôle. Et, s’il faut avouer toute la vérité, alors disons sans ambages que cet énergumène nauséabond n’est même pas vraiment méchant.

Il y a quelque chose d'important à comprendre en matière d’humour. Ce n’est jamais ce qu’on dit qui est drôle. C’est la manière dont on le dit, et, plus important encore, la connivence qu’on parvient à établir avec l’auditeur. Tous ceux qui ont ri en écoutant une blague, puis qui ont fait un four en la racontant à leur tour, savent de quoi je parle. Quelque chose de stupidement banal, dit avec une petite étincelle malicieuse au coin de l’œil, est drôle. Une blague graveleuse mais désopilante lâchée à la terrasse d’un café perdra très certainement de sa pertinence si elle se trouve interprétée lors du déjeuner dominical avec beau-papa et belle-maman.

Preuve par l’exemple. En 1991, dans leur premier spectacle Elie et Dieudonné au Splendid, le duo éponyme interprète un sketch intitulé « Cohen et Bokassa ». On pouvait y entendre, entre autres, la réplique suivante : « Moi c’que j’comprends, Cohen, c’est qu’en 45 les boches ils auraient pu finir le boulot, Cohen ! »



Considérons à présent celle du spectacle Le mur de 2013, pour laquelle Dieudonné vient d’être jugé le 28 janvier dernier : « Quand je l’entends parler, Patrick Cohen, je me dis, tu vois, les chambres à gaz… dommage. »


Vertigineux, n’est-ce pas, de mesurer la proximité de ces deux répliques ! Ce sont pour ainsi dire les mêmes. Mais alors, pourquoi la première nous fait encore rire, et pas la seconde ? C’est parce que, malgré qu’elles disent la même chose, elles vont dans le sens contraire l’une de l’autre. Dans le premier cas, c’est l’antisémite qui est la cible de la caricature. On se moque de lui en le parodiant. Dans le deuxième cas, c’est exactement l’inverse. C’est la cible des propos qui est la vraie cible, et non plus son auteur. En d’autres termes, le rire devient un moyen, et n’est plus une fin en soi. Mais c’est important de dire que le rire se doit d'être une fin en soi, car cela signifie qu’il a la vertu naturelle de rendre supportables l’absurdité de la vie et le désespoir que cette absurdité engendre. Ce que l’un des plus grands esprits français du 20e siècle a pu résumer dans ce memento mori moderne où l’essentiel est dit : « Vivons heureux en attendant la mort ».

A ce propos, on compare souvent les saillies antisémites de Dieudonné à certains sketches de Pierre Desproges. L’argument est le suivant : ce qu’on pouvait dire avant, on ne le peut plus aujourd’hui, et les pisse-froids bien-pensants font deux poids, deux mesures en « tolérant » les blagues de Desproges, mais en trainant Dieudonné devant les tribunaux pour les siennes. Cette petite vidéo trouvée sur YouTube est la parfaite illustration de cette confusion criminelle :



Regardez plutôt le sketch original :


Vous voyez ? C’est pourtant évident. Dans les deux cas, on débite des horreurs antisémites. Mais là, surprise : elles sont furieusement drôles ! C’est ce qu’on appelle le second degré. Il sert à regarder les horreurs du monde dans le blanc des yeux et à leur dire : « je vous méprise ». C’est ce que n’a cessé de faire Desproges. C’est ce que n’a jamais fait Dieudonné. Avec Desproges, comme il le dit lui-même, Auschwitz est à la fois réel et inconcevable. De son côté, Dieudonné invite Faurisson sur scène…



C'est que Dieudonné ne cherche pas à rire des horreurs du monde. Il cherche à s’en venger. Ce faisant, il ruine toute possibilité d’humour. Cela est particulièrement notable dans une autre vidéo récente, où le sinistre gredin commentait la décapitation du journaliste américain James Foley. Cette vidéo est épouvantable. Dieudonné n’en rit pas pour exorciser l’horreur qu’elle inspire. Il rit de la victime, et ce rire-là, glaçant, rajoute à l’horreur. C’est un rire vengeur. Œil pour œil, dent pour dent. Les colons occidentaux se sont livrés à des décapitations au Cameroun, en arguant apporter le progrès aux tribus indigènes ? Qu’ils ne viennent pas pleurer aujourd’hui, puisqu’on leur fait ce qu’ils ont fait eux-mêmes sous couvert de « progrès » ! Vengeance ! Et de s’adresser aux parents du malheureux journaliste, après un insert de l’image du corps sanglant de leur enfant décapité : « détendez-vous : vous commencez à accéder à la civilisation »… et de finir sur un petit ricanement satisfait. La vengeance, même froide, lui semble délicieuse. Comment comparer ce froid ricanement au sourire malicieux de Desproges ?

J’hésite à mettre un lien vers ladite vidéo. En fin de compte, je m’y refuse. Je ne veux pas être un vecteur de diffusion de cela. Je fais plutôt confiance au lecteur pugnace : s’il veut la voir, il la trouvera. Et il verra de quoi je parle. Car je ne comprends pas très bien comment se foutre de la gueule des parents de James Foley, plongés dans le deuil de leur enfant, en leur disant : bien fait pour votre petit cul d’impérialiste, peut être considéré comme de l’humour. Ici, point de moquerie, point de drôlerie. Juste la désagréable impression d’une haine saumâtre. Et il ne faut surtout pas confondre haine et méchanceté. L’humour peut (et doit) être méchant, c’est-à-dire dénigrer et désacraliser ce qui cherche à en imposer à la pensée. La haine se prend toujours au sérieux. Elle est incapable de rire d’elle-même. Elle se sacralise, elle cherche à se transmettre de génération en génération (« vos aïeux ont massacré les miens… »). Elle y réussit plutôt bien.

Autre question. Dieudonné a-t-il le droit de vomir ses horreurs sur scène ? Oui et non. Oui, si l’on se place du point de vue de la liberté d’expression (voir l’article précédent). Sur une scène de théâtre, on peut tout dire, même le pire. C’est même fait pour ça. Non, si l’on se place du point de vue de la loi qui limite la liberté d’expression, et qui fait de certaines opinions des délits. Mais si le monde était bien fait, même pas besoin de loi : son théâtre serait vide. Ca n'est pas le cas. Pour paraphraser un poète, Graeme Allwright :

Dans ma vie j’ai vu pas mal de choses, bizarres et saugrenues
Mais une blague à la fois haineuse et drôle, ça je n’ai jamais vu

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