mercredi 6 mai 2015

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Sous surveillance ? Sans doute, et depuis longtemps



Enorme angoisse citoyenne cette semaine avec l’adoption, lors du vote solennel du 5 mai, par 438 voix contre 86, de la fameuse Loi Renseignement qui a fait couler tant de pixels. Malgré le suicide héroïque d’Europe-Ecologie et des députés communistes, nous serons, c’est un fait, épiés par le méchant Cazeneuve et ses sbires que notre vie privée captive.
Je tiens tout d’abord à noter que pour un projet élaboré dans l’indifférence la plus totale, la loi Renseignement a suscité un nombre très conséquent de réactions ; plus, en tout cas, que la sinistre affaire de Garissa, disparue en deux jours des fils Facebook, ou le xième naufrage de migrants en Méditerranée. (En même, qu’est-ce qu’ils faisaient là, aussi.)
Si j’ai bien retenu les arguments-phares des opposants à la loi, l’initiative du gouvernement aboutirait purement et simplement au basculement dans notre pays dans un état semi-dictatorial façon Cambodge de Pol Pot ou Truman Show. Enfin, pas tout à fait : même si la loi est liberticide, elle est portée par un gouvernement élu et votée par des parlementaires dont, a priori, on n’a pas kidnappé les conjoints et les animaux de compagnie, tempère Thierry Lévy, avocat opposé au projet. Mais bon, j’ai envie de dire qu’en 33 les gens aussi ont voté pour Hitler.


Image trouvée sur un magnifique blog, Chaos contrôlé

Maintenant que nous y sommes, il est probable que, comme l’annoncent les prophètes de malheur, nous allons modeler nos comportements individuels en fonction de cette crainte d’être épiés, et intérioriser l’espionnage étatique. Je m’apprête donc à frémir à l’idée que le gouvernement, ce fourbe, découvre le nombre d’occurrences du mot « félin » dans mon historique de navigation et des recherches aussi baroques et compromettantes que Benoît Hamon a-t-il validé sa licence d’histoire ? ou Faut-il espérer un retour en politique d’Eaque et Rhadamante ?
Pour le dire clairement, je ne suis pas très préoccupée par cette loi théoriquement infamante, dont l’effet le plus direct sera de filer les chocottes à tous mes élèves qui tapent djihad+le-mée-sur-seine dans leur moteur de recherche au lieu de rédiger leur dissertation sur les figures féminines chez Flaubert. (Il est probable d’ailleurs que les seuls suspects effectivement appréhendables par le biais de cette loi soient des mômes de 15 ans.)
Je suis beaucoup plus préoccupée quand je constate l’ampleur du pillage de données personnelles auquel se livrent des entités aussi sympathiques que Google et Facebook, qui, pour le coup, n’ont été légitimement élues par personne.
Je suppose que tout le monde est au courant de la teneur du phénomène, mais vu que je ne vois jamais personne s’enflammer, ni poster de petite bande-dessinée rigoler avec Mark Zuckerberg épiant les gens dans leur salle de bain ni personne, d’ailleurs, éliminer les informations trop sensibles qui viendraient à s’accumuler, je me permettrai de rappeler quelques évidences.
Nous sommes déjà, et à un degré que nous ne percevons pas toujours clairement, sous surveillance. Si la régulation européenne en terme de confidentialité des données privées est très protectrice, il n’en va pas de même de la régulation américaine ; or, et je le regrette, peu de gens consacrent une attention aussi intense au réseau social captivant qu’est Copainsdavant.com qu’à Facebook, qui est implanté en Californie.
Le business model de Facebook n’est pourtant pas bien compliqué : l’internaute génère en permanence de l’information, qui, dès lors, qu’elle est publiée, ne lui appartient plus (à l’exception notable des photos, mais le site a bien tenté le coup, et reculé devant le tollé). La valeur de ces données, généreusement monnayées auprès de partenaires commerciaux, est désormais estimée à 600€ pour un citoyen européen. 600€, ça n’est pas très cher pour élaborer une stratégie marketing : nos données personnelles (données personnelles, cela implique bien sûr le nom, la date et le lieu de naissance, la situation matrimoniale, des informations somme toutes assez peu sensibles) se retrouvent donc, en moyenne, dans 400 fichiers.

Ces informations viennent d'un article des Echos, La ruée vers l'or des données personnelles.

Bien évidemment, il suffit d’avoir émis une fois une information pour qu’elle soit enregistrée : l’argument fallacieux, et de toute façon inopérant, selon lequel il suffirait de désactiver son profil ne tient pas la route. Facebook a d’ailleurs investi 1 milliard d’euros dans la construction de serveurs destinés à stocker toutes ces données. Je suppose qu’il ne le fait pas par souci de redynamiser des communes rurales.



Et s’il n’y avait que Facebook… Pour avoir manipulé une ou deux fois l’outil AdWords de Google, qui permet à l’utilisateur moyen – et aux entreprises, essentiellement – de cibler leurs publicités en ligne, je vois bien la manière dont le géant d’internet se sert de nos données. L’argument est là aussi imparable : l’internaute n’a qu’à faire le tri dans ses cookies. Parce que l’internaute, voyez-vous, est rentier et passe sa journée à contrôler le taux de pillage de ses données persos sur ses six objets connectés. Il en a de la chance, l’internaute.
En réalité, éviter ou minimiser cette surveillance demande une vigilance de tous les instants : contrôler les publications faites en notre nom, limiter la convergence de données à caractère sensible (la liaison systématique du nom véritable et de la photo, par exemple), nettoyer notre historique et nos cookies, cocher la petite case, là, tout en bas du formulaire d’acceptation des conditions, qui précise que nous refusons que nos données soient utilisées à des fins commerciales… (la loi européenne rend cette démarche obligatoire, y compris pour les sites américains accueillant des clients européens. Mais qui le fait ?)


Vieille femme lisant, Gerrit Dou

Le problème, c’est que cette surveillance n’est en rien bienveillante, mais qu’elle se dissimule sous les oripeaux de la modernité. Quand mon téléphone m’informe, avant même que je le sache, que mon avion atterrira à telle heure, que je suis déjà passée dans tel endroit, que je peux communiquer en telle langue avec le serveur (il suffit d’une connexion wifi pour qu’il comprenne que je suis au restaurant) et que la lecture de tel article pourrait m’intéresser, j’éprouve un vague malaise. Difficile d’endiguer le phénomène…
Comme dans le cas de la loi Renseignement, les géants américains de l’internet sont tenus de donner des garanties en matière de confidentialité des données. Facebook assure y consacrer 10% des ressources de ses data centers. Mais si je veux bien faire confiance à l’Etat français, qui incarne un principe vénérable, et qui, pour l’instant, est quand même assez peu doué pour se faire de l’argent sur mon dos, je ne fais pas, mais alors pas du tout confiance à Google.

Image de couverture tirée du film Le 4e protocole


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