dimanche 8 novembre 2015

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L’islam radical et le foot : quand le Figaro panique pour rien



Un jour d’oisiveté est vite arrivé, et dans ces moments-là, le pire est difficilement évitable : c’est ainsi que je me suis retrouvée, le 16 octobre dernier, à feuilleter le Figaro. Page 9, un titre accrocheur : « L’islam radical cible le sport amateur ».
Angoisse : une attaque kamikaze serait-elle prévue sur les terrains de foot de la Plaine-Saint-Denis ? Ce sport si fédérateur et si consensuel pourrait-il être mis en péril par la méchanceté des terroristes ?
Non. Rassurons-nous. Le péril est plus diffus : ce sont les clubs de foot eux-mêmes qui pourraient devenir des pépinières de fous barbus.
À vrai dire, je m’en étais déjà un peu doutée en passant à côté de terrains d’entraînement le samedi après-midi. Je me faisais auparavant une image peut-être idyllique des loisirs du jeune le week-end :



Ou :



Mais la réalité pourrait être plus proche de celle-ci :



Et les filles ne sont pas absentes de ce phénomène. J’ai dû gérer, il y a deux ans, une classe de futures infirmières, dont le principal vecteur de cohésion était la passion du foot. La moindre allusion à un match pouvait déboucher sur un accès de folie guerrière et la projection du film de Jafar Panahi, Hors Jeu, s’était achevée dans le cinéma municipal de Saint-Ouen par un déluge de hurlements sinistres ponctués par la scansion du nom de l’équipe ayant remporté la coupe :
« Iran ! Iran ! »



Les joueurs de foot, des terroristes ? Pourquoi pas. Mais encore faudrait-il que notre journal coquin veuille bien le démontrer, car mon préjugé culturel de snobinarde n’est peut-être pas tout à fait suffisant. L’argument d’autorité est en tout cas imparable : ce sont les services de renseignement qui l’ont dit. Allons-y donc pour découvrir leur terrifiant panorama.
Le foot français, « vecteur d’intégration et de cohésion sociale », est désormais « ciblé par le fondamentalisme et la pensée salafiste ».  La preuve ? De jeunes sportifs ont été surpris à revendiquer un « droit à la différence ».
Voilà une entrée en matière tout à fait angoissante. Déjà, j’avoue, le droit à la différence, c’est un peu dégueulasse. Et je partage tout à fait cette vision du Figaro où, dans notre France bigarrée et multiculturelle, les grandes institutions publiques nous réunissent autour de valeurs partagées : l’école, le foot, l’apéro. Les particularismes à l’apéro ? Niet. D’autant que le foot est, comme on sait, un sport caractérisé par sa capacité à brasser le social : Jean-Eudes y croise régulièrement Brahim et, à la mi-temps, ils se prennent dans les bras en une étreinte virile. Comme dans les tranchées en 14. Et dans les tranchées, le particularisme culturel, c’était pas le moment.



Comme la France a peu baissé depuis 14, le foot n’est plus ce melting pot fabuleux, mais une voie d’entrée pour le salafisme. Pire : le salafisme quiétiste.
Alors là, moi, je dis stop. Déjà qu’on se paye des djihadistes en France, si par-dessus le marché il faut récupérer les quiétistes, on ne va pas s’en sortir. Pour rappel, le salafisme quiétiste considère que la lutte politique n’a aucun intérêt et prône le légalisme pour éviter de s’embrouiller avec les autorités locales (qui sont donc, on l’a compris, un peu méprisables). Avec un peu de chance, si vous avez déjà mangé un kebab à Montargis, vous avez sans doute été servi par un salafiste quiétiste qui vous a même donné une bière avec votre quatre fromages. Parce que oui, le salafiste peut être accommodant quand ça fait tourner le commerce.
Si je résume, nos clubs de foot sont infiltrés par une dangereuse bande de dingos qui prônent la non-violence et le non-engagement en politique, un peu, comme, tiens ? des profs. Voyons la suite. À quoi devine-t-on le salafiste ? (Le quiétiste, hein, parce que l’autre, c’est facile : il est armé et porte un bandeau vert.)
-          Dans la banlieue de Troyes, un club de foot est financé par des commerces halal et reverse ses profits à un comité de bienfaisance et de secours aux Palestiniens.
Bien bien, donc les commerçants du bled financent les activités de leur gosse et reversent des sous à une œuvre caritative. Si on continue sur cette lancée, je suggère qu’on enquête en profondeur sur les clubs de rando financés par des épiceries végans et j’ai aussi deux trois noms de gauchistes engagés aux côtés des Palestiniens à balancer aux services de police. Je crois qu’il y en a même dans mon ONG de cathos de gauche aux 300 000 bénévoles (mais chut…)



-          À Strasbourg, des garçons d’un club ont été surpris à prier à la mi-temps.
Attention ! On ne parle pas de n’importe quoi ! Ils n’ont pas été surpris en train de boire de l’alcool dans des cubis de supermarché, de peloter des filles sans leur autorisation, de publier des photos de leur organe sexuel sur Instagram ou d’obliger, arme au poing, leur copain Jean-Eudes à réciter la chahada. Ils priaient. Alerte aux fous !



Je veux bien qu’un club de foot ne soit pas une mosquée et que l’entraîneur soit bien inspiré de rediriger ces jeunes vers la salle communautaire la plus proche (si tant est qu’elle existe). Mais là aussi, si pendant toute mes années d’enseignement, j’avais dû fondre une durite à chaque fois qu’un ado confondait ma salle de classe avec 1/un dépotoir 2/une salle de bain 3/une back room de boîte de nuit 4/sa chambre, j’aurais démissionné. Ah mince ! c’est ce que j’ai fait. Dur métier, hein, les jeunes.
-          On a repéré, dans la Sarthe, des basketteuses ayant participé à un match en portant un bandana et des T-shirts manches longues.
Stupeur et consternation. Le bandana est évidemment une puissante arme anti-laïcité, je dirais même qu’il opprime la femme, au même titre que la burqa et la rubrique Sexo de Cosmopolitan. D’ailleurs les années 80, âge d’or du bandana, ont aussi vu l’émergence des mouvements djihadistes violents. Un hasard ? Je ne crois pas.



Conclusion de l’article : tout va mal. « Citant des situations de prosélytisme sur des tatamis du nord de la France ou encore des cas de cooptation et d’emprise communautaire dans les clubs de boxe d’Indre-et-Loire, le rapport va jusqu’à s’interroger sur la finalité intrinsèque de ce phénomène. »
Eh bien moi, je vais la leur dire, la finalité intrinsèque du phénomène, et je vais en profiter pour faire deux petits points.
Tout d’abord, porter un bandana et prêcher l’islamisme radical ne sont pas tout à fait la même chose, et les assimiler relève au minimum de la facilité intellectuelle, et plus probablement d’une entourloupe grossière visant à attirer le chaland. Faire la prière, porter une tenue couvrante (je rappelle qu’il s’agit de T-shirts manches longues et pas de niqabs tricotés main) sont des exemples de pratique religieuse. Il ne s’agit en rien de manœuvres anti-sociales visant à déstabiliser la France. De toute évidence, le moindre directeur de club de foot pourvu d’une minuscule once d’énergie devrait être en mesure de canaliser la chose, et si les jeunes filles portent effectivement une tenue inadaptée à pratique d’un sport, parce que, je ne sais pas, il fait 36°C dans le gymnase et qu’elles vont faire un malaise vagal si elles ne se mettent pas en short, il peut ressortir le règlement intérieur.



Pour continuer sur ce registre, il me semble assez évident que cet article défend, non pas la laïcité qui n’a rien à voir avec ce cirque, mais une vision purement anti-religieuse et bizarrement sélective. Si une fille juive renonce à son match de krav maga ou sa compétition d’aviron parce que c’est Yom Kippour, personne ne va faire un drame et supposer que son épicerie casher finance les bombes sur Gaza. Oui, dans les milieux religieux pratiquants, il est peu difficile de comprendre qu’il faille lâcher absolument son identité musulmane quand on entre dans le stade. Mais de là à supposer que la France est en péril, il y a un saut conceptuel que je trouve un peu hasardeux.
Parallèlement, et je regrette de le rappeler, le foot est tout bêtement ce qu’on appelle un sport populaire. Pas seulement parce qu’il a du succès, mais parce qu’il attire les classes populaires (un objet social que le Figaro pratique sans doute assez peu). Au point même qu’il a toujours été utilisé pour canaliser les jeunes garçons et leur faire passer de beaux messages. Même que dans les années 30 il y avait des curés qui montaient des clubs de foot, et même (brrr !) des militants communistes. En effet, tout ça fait peur. Des prolos décérébrés qui se réunissent le week-end pour jouer à des jeux idiots et défouler leur agressivité virile, ça n’est pas joli-joli. Alors toute cette France sans le sou, qui végète dans la Sarthe et l’Indre-et-Loire, est évidemment la première victime de l’anti-France : le salafisme. Mais peut-être faudrait-il tout simplement se détendre une minute et considérer les choses sous un autre angle : oui, le jeune des milieux populaires n’a pas tout à fait les mêmes valeurs que le lecteur du Figaro. Il joue potentiellement au foot et oui, il est potentiellement musulman.
Il est bête, le jeune.
La prochaine fois que le Figaro m’attire avec un titre de ce genre, j’aimerais quand même bien un peu de contenu : du trafic d’armes, du viol, de la subversion. Parce que là, je suis un peu restée sur ma faim.



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